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Sponsoring et diversité

Pourquoi on a sponsorisé des tickets diversité au lieu de payer pour un stand et des goodies

À l’approche du premier anniversaire de dtc, on a constaté que l’on avait généré un surplus de revenus. On utilise des logiciels libres au quotidien et on a envie d’aider. On avait pensé à plusieurs manières de contribuer : ouvrir des places gratuites à nos formations JavaScript, donner de l’argent à Wikipédia ou à des logiciels libres, entre autres.

On a été amené à faire évoluer ces réflexions lorsque la conférence Paris Web nous a sollicité afin de sponsoriser leur édition 2017. Signer un contrat pour devenir « sponsor Bronze ». Ça s’est transformé en ce questionnement : « Et si on contribuait à faire venir des personnes qui ne seraient pas venu·e·s autrement au lieu de “juste” donner de l’argent ? »

Voici quelques éléments de réflexion, comment on s’y est pris et ce que nous en pensons avec un peu de recul.

Sponsoriser… des tickets

Tout a commencé quand le staff de Paris Web nous a sollicité pour savoir si on était en capacité de sponsoriser l’édition 2017 de la conférence. C’est à dire de contribuer à leur budget en échange de contreparties.

Pour 2000€, on pouvait ainsi apparaître sur la page des partenaires, être mentionné dans la newsletter ainsi que dans les annonces de clôture de la conférence. Pour 5000€, on bénéficierait d’encore plus de visibilité, sur Twitter, sur les goodies, sur les écrans intermédiaires des présentations. Et ainsi de suite jusqu’à 9000€.

On pourrait ainsi s’afficher devant un parterre de futur·e·s client·e·s ou de futur·e·s salarié·e·s, espérer signer un contrat ou deux, embaucher une personne ou deux pour grossir et recommencer l’année d’après. À Paris Web. Ailleurs.

Quelques messages sur Slack plus loin, on en rediscute de vive voix et de manière synchrone. Rapidement émerge le fait que l’on n’est pas à l’aise à l’idée d’échanger de la visibilité contre de l’argent. Que toucher de manière quantitative ne ressemble pas à nos valeurs ni à notre mode opératoire. Que le commercial n’est pas là où nous souhaitons placer le curseur. On questionne le sens ; le sens de notre contribution.

Il ressort de cette conversation que si nous devions apporter une contribution, celle-ci devrait pouvoir fortement impacter la vie de personnes. Favoriser l’opportunité pour des personnes qu’on voit trop peu dans ce genre de conférences. De là naît l’idée et l’envie de contribuer en offrant des tickets diversité.

On avait déjà quelques intuitions sur la manière de procéder. L’idée était de répondre à l’organisation de Paris Web avec notre contre-proposition tout en restant ouvert·e à leurs réactions.

C’était une première pour Paris Web. Et cela ouvrait plusieurs questions : Comment trouver les bénéficiaires des tickets ? Comment leur proposer les tickets ? Comment valoriser l’investissement financier en nombre de tickets pour s’inscrire dans leurs modalités de sponsoring ?

Ouvrir la porte

Notre envie d’offrir des tickets partait d’un constat : la majorité des participant·e·s aux conférences tech et web sont des hommes qui ont les moyens de payer le ticket — en gagnant suffisamment ou en ayant un employeur généreux.

Cette démarche s’inscrit en complément de nos envies de générer des opportunités, d’encourager, de semer des graines et de voir ce qu’il en advient. De faire des actions qui touchent des individus avec soin, de manière conviviale.

David émettait l’envie que notre action de sponsoring « soit du “temps” possible offert à d’autres ». Que ce temps d’apprentissage soit possible sans avoir à gagner assez d’argent pour en débloquer l’accès.

On a vite fait de faire un pas de travers, de mecspliquer ou d’adopter une posture de conquérant. On a vite fait de piétiner les gens avec nos bonnes intentions. Hasard des choses, Thomas était à la conférence tech Write the Docs Europe. Ça lui a permis de valider l’hypothèse de sponsoriser des tickets diversité sur place.

Regina témoignait qu’elle avait changé de carrière pour travailler dans la tech justement qu’il n’y avait pas assez de femmes dans ce milieu. Son déclic a été de voir un exemple qui lui montrait que c’était possible.

María confirmait que c’était une chouette démarche, qu’elle était claire et compréhensible. Et aussi qu’elle était en contact avec les gens de la Travis Foundation. Cette fondation gère le programme diversitytickets.org. Un programme relayant les initiatives de tickets à destination de personnes qui en auraient besoin ou qui en feraient la demande.

Hypothèse validée !

Aider quand on n’y connait rien

On est aligné sur les intentions, entre nous et avec l’équipe organisatrice de Paris Web. Qu’en est-il de la traduction en actes ? Comment faire pour toucher des gens hors de nos cercles d’habitué·e·s ?

On avait trois pistes en tête :

  1. démarcher nous-même des individus ;
  2. trouver un relais dans des associations militant pour l’autonomisation des femmes ;
  3. passer par un intermédiaire de confiance qui fait déjà ce travail de mise en relation.

Avec la première piste, on prenait un risque d’insérer nos propres biais et de mettre en danger la démarche de diversité. La deuxième s’est révélée infructueuse : pas de réponse de la part des associations. On s’est donc tourné vers l’option des intermédiaires de confiance.

Ça nous rassurait d’aborder un sujet pas facile en apprenant de celles et ceux qui savent. À moins de 30 jours de la conférence, c’est un luxe non-négligeable.

On nous avait recommandé plusieurs intermédiaires. Le contact direct avec le staff de diversitytickets.org nous a pas mal influencé : on a aimé le fait qu’elles gèrent la sélection des candidat·e·s et qu’elles relaient le message au sein de leur réseau — en dehors des nôtres.

6 tickets • 6 candidat·e·s

Le 5 et 6 octobre 2017, 6 personnes ont franchi le hall d’accueil de Paris Web suite à notre initiative.

On est content·e d’avoir pu ouvrir la porte à ces 6 personnes. Que ces 6 personnes aient pu venir assister à une conférence qui leur aura apporté un peu de réseau et des connaissances utiles dans un environnement que l’on savait favorable.

Ce matin quand je me suis levée, j’étais encore plus excitée que si j’allais à Disneyland ! — Une participante ayant bénéficié d’un ticket diversité

On a rencontré certain·e·s des bénéficiaires des tickets pendant l’événement. On leur avait proposé, si ça leur disait, si ça leur faisait plaisir. Certain·e·s ont préféré partager leur enthousiasme par voie écrite, une fois l’événement terminé. Ce que la conférence leur avait permis de comprendre, d’expérimenter et quelles voies se sont ouvertes.

C’était inattendu d’apprendre qu’un·e des bénéficiaire a décidé de rejoindre l’équipe d’organisation de Paris Web ☺️

Bilan des courses

On aura réussi à faire une action palpable en moins d’un mois, en choisissant de procéder à petits pas, en donnant de l’argent en adéquation avec nos valeurs, et en s’appuyant sur un tiers de confiance reconnu dans le milieu pour distribuer des tickets.

On a senti les limites du petit réseau francophone de diversitytickets.org. On a eu de la chance de n’avoir que 6 demandes et d’attribuer les tickets sans distinction, sans justification. Avec le recul on aurait été bien embêté de devoir choisir… donc de discriminer sans le vouloir.

Personne n’est venu nous parler à la conférence parce qu’on était sponsor. Personne ne nous a contacté suite à la conférence parce qu’on était sponsor. Peut-être qu’un nom de boîte ça parle moins que des individus et leurs actions.

Et si on devait recommencer ?

On est content de notre action, de ses impacts et du vécu rapporté par les bénéficiaires des tickets. On sponsoriserait à nouveau une conférence ? En refilant des tickets, certainement. En contrepartie d’un logo, probablement pas. La recherche d’un impact qualitatif nous importe davantage.

Cette expérience a ouvert la porte à un nouvel univers de réflexions ; sur d’autres manières de contribuer. Sur d’autres manières d’ouvrir des portes. On pensait aux mécanismes de contributions solidaires (proposé par Agile Open France). À acheter des tickets sans passer par la case sponsoring. Arrêter de dire diversité. À ne pas sélectionner les candidat·e·s. Yannick nous suggérait une approche nouvelle à nos yeux : faire autrement, aller ailleurs, en allant distribuer des tickets en direct, à la main. Il y a surement encore d’autres pistes qualitatives à explorer et à documenter.

Paradoxalement, on ne sait pas à quoi ressemblerait une conférence mixte, diverse et représentative. On en parle et on se dit que ça devrait être normal. On n’y est pas encore. On en rêve tout en présupposant les impacts. Le pari d’y arriver nous fait envie. Expérimenter, se rapprocher d’une société plus juste, plus équitable, plus représentative… ça, ça nous fait kiffer.

Remerciements : Fabien, Erick, Yannick, Julien, Vanessa, Janna, Isabelle, Maïtané, Frank, Mélia, Julia, Raphaël, Stéphane, Noémie, Clémentine et David pour les riches discussions et leurs relectures attentives.